Jeanne ROCHE, fille de Mr Claudius CARTON
par
Témoignage de madame Jeanne Roche, fille de monsieur Claudius Carton
Il y a longtemps que nous voulions mes frères, ma sœur et moi-même rendre hommage à la mémoire de nos parents mais nous avions bien du mal à en parler.
65 ans ont passé et cette rubrique nous permet de vous transmettre les moments terribles que nous avons vécus.
En 1940, le Général De Gaulle lance à la radio, ses appels pour une France libre.
Notre père patriote dans l’âme, se sent concerné par ces appels.
En 1942, il rejoint le réseau « Charrette », participe à diverses actions et est chargé d’héberger et de ravitailler les réfractaires au STO.
Lorsque les maquisards du camp Desthieux viennent s’installer dans la région, notre père leur trouve un lieu isolé pour se fixer.
Il s’agit d’une ferme abandonnée au lieu dit le « Souzy ».
Nous les voyons arriver un matin dans la neige avec une camionnette que nous aidons à décharger.
A l’intérieur se trouve diverses armes (fusil-mitrailleur, mitraillettes, grenades, fusils, munitions) que nous acheminons avec la charrette à vaches à travers des chemins forestiers devenus impraticables par la neige et le verglas.
Nous nous chargeons du ravitaillement de ces hommes, isolés dans les bois, de la récupération de faux papiers, de l’accueil des nouveaux maquisards venus de Lyon, Paris et d’autres régions.
Devenue agent de liaison du maquis, je transportais avec ma bicyclette dans la neige les plis que l’on me confiait à remettre à leur chef « Guérin ».
Nous étions en relation avec des gendarmes de Saint-Laurent-de-Chamousset et de Tarare avec qui nous entretenions de bonnes relations.
Conscient des risques encourus, notre père gérait la situation avec appréhension et conviction.
Notre mère, très inquiète, acceptait en silence, persuadée que la cause était juste, mais en pleine connaissance des risques encourus pour sa famille.
En cette période noire, pour quelques centaines de francs de l’époque, certaines personnes peu scrupuleuses n’hésitent pas à dénoncer les patriotes.
C’est ainsi que le 17 février 1944, à 7 heures du matin, pendant que nous étions à table pour le petit déjeuner, après le pansage des bêtes, les allemands font irruption dans la cuisine en criant « terroristes, terroristes ».
Notre père est asséné de coups de poings et les mains attachées dans le dos, ainsi que mes frères pour leur faire avouer où se trouvent les maquisards.
Les fusils braqués sur nous, ils crient « tout brûler », « tous mourir ».
Maman nous dit « faisons notre prière nous allons tous mourir ».
Mon frère Fernand dit à maman : « Cécile va rester seule que va-t-elle devenir ? »
Les allemands prennent mon frère Jean en otage pour les conduire au camp, mais mon père lui dit en patois de les emmener dans un autre lieu, vers la Croix du Poulet où ils ne trouveront personne.
Notre père est enfermé dans une pièce à coté de la cuisine et est interrogé toute la matinée, mais il ne parlera pas.
La maison est perquisitionnée de fond en comble.
Merci maman d’avoir eu l’intuition de cacher quelques jours auparavant tout ce qui était compromettant.
La providence était avec nous. Il n’y avait aucun maquisard à la maison.
Les hommes du maquis devaient venir ce matin là à la ferme chercher une vache qui avait été tuée pour leur ravitaillement mais leur camionnette n’avait pu démarrer à cause du froid.
Nous sommes très inquiets pour Jean, mais les allemands le ramène en fin de matinée et repartent en emmenant notre père vers 12h30.
Notre père parti nous sommes restés ma mère, mes frères, ma sœur et moi, seuls pour continuer les durs travaux de la ferme.
Après les prisons de Montluc (Lyon) et Compiègne (département de l’Oise), il sera transféré à Mauthausen puis interné dans les camps d’extermination de Melk, d’Amstetten et d’Ebensee.
Aux limites de la mort il fut libéré le 6 mai 1945 par les soldats américains dans un état de grande souffrance physique.
Il vécut parmi nous jusqu’à ce jour du 19 octobre 1976.
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