La Douzette à Claveisolles
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TÉMOIGNAGE
Ce témoignage véridique et émouvant que nous publions n’a fait l’objet d’aucune correction et vous est proposé dans son intégralité comme il a été vécu et rédigé par Mme Simone Descroix épouse Dumontet.
Mes souvenirs du bombardement allemand de la Douzette à Claveisolles, Rhône, le 11 août 1944.
11 août 1944 – Ce jour gravé dans ma mémoire, que rien, même le demi-siècle écoulé depuis, n’a pu me faire oublier.
Peut-être faudrait-il camper un peu le décor, le maquis de l’AZERGUES a écrit sa propre histoire, mon propos n’est donc pas de relater ici, ce qu’il a dit et écrit.
Notre hameau, à flanc de coteau, au pied du versant du Mont Soubran, 895 mètres d’altitude, comptait, en ce temps-là, une dizaine de feux, comme on disait autrefois.
Il était composé de deux groupes de maisons, 7 foyers d’un côté, 3 de l’autre, plus une maison, un peu en retrait ; mais à cette époque de l’année il y avait largement 40 personnes résidentes, si l’on compte les enfants en vacances dans les familles, en cette période d’été et d’insécurité.
La Douzette est éloignée, à vol d’oiseau, de 2.5 kilomètres environ, du village de Claveisolles, en surplomb de la route qui relie la vallée d’Azergues à Marchamp, village Beaujolais au fond du versant est du Soubran.
Avant le col de la Croix de Marchamp, le hameau de La Grandouze, en ce 11 août 1944, était le siège d’un poste de commandement du maquis.
La vallée d’Azergues, avec ses hauteurs boisées, abrite ainsi des vents froids, une partie du Beaujolais. Elle est située entre Loire et Saône en partant des monts du Haut Beaujolais (avec le Saint Rigaud qui culmine à 1012 mètres, c’est la montagne la plus élancée du Rhône).
A une soixantaine de kilomètres de Lyon, notre région a donc servi de refuge aux maquisards qui se ravitaillaient dans les fermes.
Les habitants continuaient leur besogne, quotidienne pour les paysans, qui passaient de longues heures dans les champs.
Les vacanciers profitaient de l’air pur, certains étaient aussi à l’abri des bombes de Lyon, espérant la fin du cauchemar.
Des avions à croix-gammée passaient parfois en rase-mottes au dessus du bois de Viry, ils avaient même lancé des tracts et qui nous prévenaient du danger qui nous guettait si nous continuions de ravitailler le maquis qui, à nos yeux, était moins discret qu’à son arrivée dans la région. En cet été 1944, il circulait plus librement.
Le passage régulier, sur le chemin de « La Douzette », d’un cavalier monté sur un petit cheval blanc arabe, donnait des craintes à notre mère. J’avais 17 ans à peine, mon frère 19 et ma sœur 21 ans, nous avions perdu brutalement notre père le 4 août 1941, donc trois ans plus tôt.
Ce cavalier faisait sans doute la liaison entre deux groupes de maquisards, « La Grandouze » et « Chazelle », au dessus de la gare qui est à l’entrée du tunnel de la célèbre « boucle » de la voie ferrée Lyon-Paray.
Une nuit précédant le bombardement, nous avons vu passer un groupe de maquisards marchant au pas en chantant, ils venaient sans doute de Valossière et allaient, en montant le bois de Lafay rejoindre d’autres groupes à La Casse Froide, du côté nord du Soubran où devait avoir lieu le parachutage attendu, munitions…etc.
Dans la nuit les avions anglais tournaient autour du Soubran et nous survolaient donc, avant de larguer leurs chargements sur la Casse Froide, où les maquisards surveillaient l’atterrissage.
Nous apprenions ces choses par la rumeur publique, pour notre part nous n’avions des contacts avec les maquisards, que lorsqu’ils venaient au ravitaillement à la maison.
La vie continuait en cet été sec et brûlant, la récolte de foin avait été médiocre pour beaucoup de paysans, sur ce relief montagneux.
Les moissons se terminaient, c’est pourquoi en ce début d’après-midi du 11 août 1944, avec mon frère, nous étions allés, avec nos vaches, attelées au cultivateur, déchaumer dans une terre à blé.
Ma sœur gardait le troupeau dans un pré au creux du val, où passe un petit ruisseau qui faisait encore, un peu, verdir la prairie, où il y avait aussi plus de fraîcheur.
Lorsque nous avons eu terminée notre « attelée » comme nous disions, il fallait aussi limiter l’effort des bêtes sous les rayons brûlants du soleil, j’ai conduit les deux vaches rejoindre le troupeau que ma sœur gardait.
Je suis rentrée à la maison où mon frère avait déjà fait un petit goûter de pain et de fromage, avec maman nous avons fait de même. Mon frère était reparti travailler aux champs.
Ensuite elle m’a demandé d’aller étendre le linge au jardin, qu’elle venait de laver au lavoir, situé vers la maison la plus haute du hameau.
En allant au jardin j’entends causer, je regarde en haut, je vois sur le bord de la cour de Francine Dumontet, au dessus de son jardin, plusieurs personnes et enfants, dont un prêtre en soutane noire. Ils regardaient tous en direction du bois de Viry.
Du côté où le groupe regardait je vois des avions à Croix Gammée, j’étends une partie de mon linge quand soudain, un changement brutal de son me fait comprendre qu’un avion piquait dans un fracas épouvantable, maman était sur le balcon avec Catherine Dulac de Grandris. « J’ai hurlé, maman sauve-toi il bombarde » et j’ai vu la bombe se détacher au dessus de ma tête, je me suis accroupie croyant ma dernière heure venue, j’ai vraiment senti passer la mort.
Ne sentant rien, je me relève ; mais un souffle violent me renverse, je me relève, je ne vois plus maman et Catherine sur le balcon, les vitres avaient volé en éclats, les tuiles étaient dans la cour.
Une épaisse fumée opaque s’élevait vers la maison de Francine Dumontet.
Instantanément j’ai pensé ils sont tous morts là haut, ceux que j’avais vu, quelques instants avant, converser ensemble.
Titubante je sors du jardin et, ce qui aurait été cocasse en d’autres circonstances, je me heurte à notre cochon, que la déflagration avait libéré de sa porcherie, en faisant sauter le verrou de la porte, il allait, bien sûr, dans son parc de plein air, à côté du jardin.
Je vois alors ressortir maman de la maison serrant sous son bras la grande sacoche où étaient rangés tous les papiers de famille.
Je la rejoignais ; mais elle pouvait difficilement articuler les jambes, je la portais presque, après l’avoir prise par son bras libre et instinctivement nous sommes parties du côté où se trouvaient mon frère et ma sœur, c’est à dire direction opposée de Claveisolles.
En passant devant la maison voisine, nous voyons Joseph Roche, qui était charron, je lui dis « venez vite il faut se sauver, ils vont revenir » ; il nous a dit en patois « dze vé voire ce qui font lon-mu », je traduis, je vais voir ce qu’ils font là-haut, il voulait, je pense porter secours aux habitants du haut, où était tombée la première bombe.
Nous avons continué notre route, mon frère revenait nous chercher. Je le vois alors lever son bras pour se protéger le visage, étant complètement assourdie je n’avais ni vu, ni entendu un avion qui venait de larguer une très grosse bombe dans le pré à côté du second groupe de maisons que nous traversions, le pré de François Martin.
Par-dessus nos têtes passaient toutes sortes de projectiles, une motte ma violemment heurté l’épaule droite, nous continuons le chemin.
Arrivés au bout des maisons, juste au dessus du trou de la bombe, nous voyons Suzanne Dumontet qui, ayant vu ce qui se passait, remontait précipitamment, en laissant son troupeau, pour aller vers sa mère.
Nous l’avons persuadée, non sans mal, de venir avec nous et au bout du chemin de la Douzette, à proximité de la route nous avons retrouvé les habitants des maisons que nous venions de longer, qui se cachaient sous les noyers et les noisetiers.
Nous entendions les détonations et le vrombissement des avions, au bout d’un moment, croyant le bombardement terminé, nous nous risquions à revenir, en arrière, lorsque de nouveau deux avions revenaient, encore des explosions, puis le silence.
De grandes flammes et une épaisse fumée s’élevaient vers le ciel, deux bombes incendiaires et une explosive avait mis le feu à nos-remises, étables, écuries et granges, matériel agricole, etc…
Les personnes qui étaient avec nous sont reparties vers la Douzette, alors qu’avec Suzon, nous sommes allés dans le champ où elle gardait ses bêtes, pour chercher le sac qu’elle avait laissé.
Encore un bruit de moteur, c’est un avion qui décrivait un cercle, la besogne avait été faite, il pouvait repartir, nous avons compris plus tard, en voyant onduler l’herbe, d’après ceux qui connaissaient ce phénomène, que l’avion en repartant avait mitraillé.
Aussi vite que nos forces nous le permettaient nous sommes rentrés vers la Douzette, nous ne pouvions en croire nos yeux, ruines et fumée et beaucoup de personnes qui s’agitaient alentour.
Un monsieur nous interpelle, on cherche deux jeunes filles, comment vous appelez-vous, Suzanne et Simone… non ce n’est pas ça.
A ce moment-là monsieur Antoine Sapin de Lamure, des tuyaux de pompiers à la main, nous demande « dites-moi vite où il y a de l’eau », « au lavoir là-haut », « c’est épuisé », dans la serve là en bas, épuisé, « dans la serve en bas de la route à l’angle du pré » je n’ai pas suffisamment de tuyaux me dit-il, en levant et rebaissant les bras.
Je continue d’avancer, je vois un homme en équilibre instable sur le mur de notre maison en train de scier une poutre, les granges et les remises à côté flambaient. C’était je pense un pompier.
A ce moment-là, je vois, saisie d’effroi, passer deux hommes portant un brancard, avec un corps inanimé, cela ne fait aucun doute, enveloppé dans un de nos couvre-lits, à chaque pas des porteurs ce petit corps à allait de droite et de gauche.
J’ai su plus tard que c’était le corps de Monique Kock, 7 ans, cette petite lyonnaise était en vacances chez Francine Dumontet pour être aussi à l’abri des bombardements de Lyon, elle a été tuée à la première bombe, des sauveteurs l’emportaient.
Là j’avoue que le choc fut si fort, je ne sais plus le temps qui s’est écoulé avant que je puisse traverser notre cour pleine de décombres (j’ai su plus tard qu’ici-même monsieur Jean Roux, maire de Claveisolles, avait failli être électrocuté par un fil électrique qui traînait, le courant électrique n’avait pas encore été coupé au transformateur).
Je rentre dans notre maison où je vois madame Roux, la femme du maire, qui sortait nos affaires de l’armoire, alors que des hommes emportaient des meubles, le feu avait commencé à prendre dans ma chambre à l’étage, on a déposé tout ce qui pouvait être transporté, dans le pré de monsieur Auguste Dumontet à une trentaine de mètres de là.
Là encore j’ai un grand trou, je suis incapable de dire, dans ce remue-ménage, cette poussière, cette fumée, cette chaleur, ce qui s’est passé, je n’avais plus la notion du temps, je n’ai pas eu conscience du moment où Suzon m’a laissé, ni quand ma mère, ma sœur, mon frère sont revenus, ni où ils étaient, ils se sont également occupés du troupeau, sans que je sache l’heure et l’endroit où ils avaient trait et parqué les bêtes, je ne sais plus si nous avons mangé, c’était nuit lorsqu’enfin nous nous sommes tous retrouvés dans le pré vers nos meubles, etc.
Nous avons appris, je ne sais à quel moment, que l’on recherchait dans les décombres Marie et Jeannette Dumas. Francine Dumontet, sa fille Alice 20 ans et l’abbé Dumas avaient été emmenés à l’hôpital de Grandris gravement blessés ; mais je ne sais pas du tout l’heure.
Plus tard, avec ma sœur et d’autres personnes du hameau, je ne sais plus lesquelles, nous sommes partis, par le chemin de la madone de Viry. Là contre le talus nous nous sommes roulés dans des couvertures, nous n’avions sur nous qu’une robe d’été, nous étant sauvés, au moment du bombardement, sans rien prendre.
Maman, mon frère et le cousin Jean Augagneur sont restés vers nos affaires dans le pré. Ils ont veillé toute la nuit.
Quant à nous, passablement choqués, nous ne pouvions dormir, une escadrille de bombardiers, anglais ou américains, en formation serrée est passé au dessus de nous, à haute altitude, derrière la ligne d’horizon, côté Loire, nous avons vu des fusées éclairantes.
Quelle cible était touchée ? Je ne saurais le dire ; mais nous avons pensé, en pleine nuit, d’autres vivent ce que nous venons de vivre.
Tout à coup, pris de frayeur, nous entendons causer très fort du côté du bois de Lafay, c’était la famille Laval de Soubran qui venait voir la Douzette, ayant sans doute appris que le bombardement allemand avait eu lieu ici.
Nous entendant aussi parler et, crier peut-être, ils sont tous venus jusqu’à nous, j’entends encore le père Laval nous dire « c’est dommage que nous habitions si haut, sans ça on vous aurait emmené coucher chez nous » et ils sont repartis.
Nous étions donc à la belle étoile, beaucoup d’étoiles cette nuit-là scintillaient dans le ciel ; mais, même sous ce firmament étoilé, nous n’avons pas pu fermer les yeux.
Au petit matin nous sommes retournés vers le hameau où la désolation régnait, pas une maison n’avait été épargnée soit, endommagée soit, complètement détruite. Mais le pire c’était d’apprendre que Marie et Jeannette avaient été retrouvées mortes sous les décombres d’une remise.
Dans la journée c’était l’annonce de la mort de l’abbé Dumas (lors du largage de la première bombe, qui a fait toutes les victimes, il était parvenu à se sauver, quelques dizaines de mètres plus bas, là un petit monument, où sont inscrits les noms des 5 morts, commémorant le bombardement de ce 11 août 1944) ; mais nous a-t-on dit des éclats de la bombe l’avaient, mortellement atteint. Il n’a survécu que quelques heures je crois.
Le 13 nous apprenions encore la mort de Francine Dumontet, veuve et mère de famille de 48 ans, ses cinq enfants n’avaient plus, ni parents, ni maison, plus rien.
Le 14, d’après ce qu’on m’a dit plus tard, accompagnée d’Andrée Martin, je suis allée, comme un automate, aux funérailles des victimes, je ne me souviens de rien, si ce n’est que je n’avais pas de chaussures « du dimanche » à me mettre, n’ayant pu retrouver les miennes dans notre bric-à-brac, elle m’en a prêté une paire ; mais où j’ai un peu repris mes esprits, c’est lorsque nous étions, en foule, au cimetière et que des avions sont passés au dessus de nous, les gens affolés se sauvaient en tous sens, j’en ai vu sauter par-dessus le mur du cimetière, dans un brouhaha indescriptible.
Ensuite je ne me souviens plus de rien, je ne sais absolument pas comment j’ai pu rentrer à pieds chez nous, je pense qu’Andrée a dû faire, comme j’avais fait pour ma mère le jour du bombardement.
Après avoir accompagné nos morts dans la tristesse et la peur il me faut maintenant revenir aux vivants.
Toutes les familles avaient été touchées plus ou moins gravement, la partie du hameau qui comptait trois foyers était ébranlée par les déflagrations des 9 bombes explosives et 4 incendiaires qui étaient tombées sur la Douzette, de même pour celle de tante Reine.
Je me souviens avoir vu partir nos proches voisins Deshayes ; mais je ne saurais dire à quel moment, ils descendaient par la route, fouettant vivement leurs bêtes en direction de Lamure, où Mme Augustine Deshayes avait sa famille, je suis incapable de dire à quel temps de là ils ont réintégré leur maison, d’après les photos prises par l’abbé Frayard, directeur de la manécanterie de Claveisolles, on voit étable et granges très endommagées et la maison de leur mère complètement détruite.
Chez monsieur Auguste Dumontet la maison avait bien souffert ; mais il y avait plus urgent, ce n’est que bien plus tard que leur maison a été reconstruite.
Dans leur étable ils se sont installés, sur le large trottoir, ils ont installé tout le mobilier qu’il leur restait, et sur l’autre côté, leurs bêtes étaient attachées, ils ont vécu assez longtemps je crois dans cette atmosphère particulière d’une étable et le bruit bien sûr que font les animaux avec leurs chaînes au cou.
Ce fut un jour de joie lorsqu’ils ont pris possession de leur maison qui, certainement, avait changé de visage. Ont-ils regretté le grand lit à rideaux entouré de bois sculpté, que j’avais vu à l’occasion de la naissance de leurs enfants ? Ils n’en ont rien dit.
Pour la famille Roche, mis à part les dégâts, le plus triste c’était que notre brave charron avait été brûlé aux yeux, quand les bombes incendiaires sont tombées, nos murs étant mitoyen, c’est dans « la vieille maison comme on disait » que se trouvait le petit poulailler voûté qui a sauvé la vie à Alice Dumontet, que Joseph et sa femme avait d’abord installée dans leur lit, puis sur un matelas dans la cour, au moment où les avions revenaient.
C’est Marcel Delaye qui a « jeté » Alice dans ce petit poulailler, où Joseph et Marie ont pris refuge aussi, alors que Marcel Delaye a été passablement soufflé et déshabillé par les déflagrations, quant au matelas, pendant des jours et des semaines, je ne sais, ses lambeaux témoignaient de la puissance du souffle en flottant suspendu au noyer d’Henri Martin un peu plus bas.
Pour en revenir à Joseph Roche je le revois assis sur ses escaliers de bois, une infinie tristesse se lisait dans ses yeux rougis, il ne pouvait momentanément travailler, combien cela a-t-il duré, je ne sais, ce que je sais c’est qu’il n’a pas pu nous faire tombereaux et chars, etc qui avaient complètement brûlé chez nous, chez lui son hangar a été pulvérisé et son stock de bois, planches, plateaux, etc aussi.
D’autres ont eu la vision du déroulement du bombardement d’en face, ainsi la cousine Victoire de Viry qui ce jour-là avait les visites de ma cousine Germaine Gauthier avec son fils Michel et sa nièce Mireille Bajard (5 et 6 ans environ) qui avaient fait ce détour imprévu vers elle, se sont réfugiés vers la madone de Viry avec les 6 enfants Augagneur en bas âge (l’aîné 11 ans environ).
Germaine Gautier Bajard a eu le cœur serré lorsqu’elle a vu une grosse bombe tomber sur la maison, en belles pierres bleues, de nos grands-parents, qui est montée en l’air et retombée, ce n’était plus qu’un tas de pierres ! ! Il y avait deux locations, sur deux niveaux,
1er - Monsieur et madame Berger et leurs enfants étaient heureusement absents cet après-midi là, ils ont absolument tout perdu, ils ont été relogés à Lamure sur Azergues à côté de l’école.
Ils sont revenus un jour, fouiller les décombres, cherchant vainement quelques souvenirs, ou objets divers, dans cet amas de pierres, etc…
Je revois madame Berger nous montrant une photo passablement abîmée où l’on distinguait le portrait de ses parents, elle serrait, en pleurant, ce trésor sur son cœur.
2e – la famille Gonnet qui venait normalement par le train de Lyon, aux beaux jours, n’était pas à la Douzette ce jour-là.
On comprendra que je ne puisse exprimer tout ce que les acteurs de ce drame ont vécu, ils diront eux-mêmes leurs sentiments et leurs souffrances.
J’en reviens donc à notre famille, nous avons pendant trois semaines environ surveillé les décombres où se consumaient foin et poutres etc… de peur que le feu reprennent et incendie notre maison, un mur seul séparait les deux parties, du long corps du bâtiment d’exploitation et de notre maison, de même que pour la vieille maison mitoyenne de Joseph Roche comme je l’explique plus haut.
Il fallait sans répit s’occuper du troupeau que nous avons logé, les vaches, chez notre cousin Antoine Sanlaville, sur le côté épargné de la Douzette, les chèvres chez nos cousins Augagneur à Viry.
La cousine Victoire Augagneur prenait notre lait, le passait à l’écrémeuse et faisait le beurre, quant au lait de chèvre je crois que quelques jours plus tard, après le 15 août, lorsque la maison a été remise à un peu d’aplomb maman faisait quelques fromages.
Pour ma part je me souviens qu’assez longtemps j’ai couché chez ma tante Reine Giraud, mais du fait qu’il fallait surveiller ce qui se consumait dans les ruines de notre ferme, maman, ma sœur et mon frère ont dû je crois s’installer provisoirement dans la maison.
Le jour l’effervescence régnait dans le hameau, chacun remettait un peu d’ordre, les uns déblayaient, les autres remettaient les vitres, d’autres s’activaient sur les toits et cela sous une chaleur torride et une odeur pestilentielle, poules, lapins, chats etc. se décomposaient dans ces décombres.
Dans un trou de bombe, dans le pré au dessus de chez Dumontet nous avons enterré une de nos génisses écartelée par cette bombe, ainsi que notre chien et tous les petits animaux morts du quartier.
Quelques jours après le bombardement, les ouvriers s’activaient sur les toits, ce matin là, quand, soudain, venant de vers la croix Rozier, dans un vacarme assourdissant, des avions à croix-gammée, rasant les maisons, prennent la direction de Claveisolles, où les gens s’enfuyaient sans se vêtir, c’était tôt le matin et les vacances, certains nous ont dit que ces avions avaient contourné le clocher avant de repartir du côté de Chénelette, inutile de dire la panique et la frayeur éprouvées.
Nous avons su que c’était l’état-major de la base aérienne de Bron qui s’enfuyait, c’était pour ces allemands la débâcle, Lyon allait être libérée. Le débarquement allié dans le midi de la France aurait parait-il épargné la destruction de Claveisolles. Ce que les adultes redoutaient le plus pour tous, c’était la déportation, le jour du bombardement de la Douzette il y avait un affrontement des maquisards et des allemands, au Pont des Samsons à Quincié, deux jeunes de ce village ont été tués ce jour-là (ou d’un village proche ?). Plus tard on nous a dit que des maquisards s’étaient repliés à la ferme Ste Mare à Saint-Etienne de Varenne.
Dans une atmosphère de peur nous avions pris plusieurs fois nos valises, un bruit de moteur d’avion était, pour nous, symbole de mort et de destruction, un jour où je gardais notre troupeau vers le pont d’Essartet, entre la Douzette et la Grandouze, j’ai entendu une forte explosion, mon sang a fait qu’un tour, et j’ai pensé, une bombe à retardement vient d’exploser à la Douzette, où l’on déblayait et emportait les déblais dans le grand trou de la bombe tombée dans le pré de François Martin, là où Suzon venait de passer lorsque cette bombe a explosé.
En courant, les jambes flageolantes, j’arrive vers le hameau, tout le monde était calme, c’était un mortier qui venait d’exploser à Valossière et avait tué un maquisard (l’arme qui s’est enrayée venait du parachutage).
Je suis retourné vers mon troupeau, la vie reprenait son cours, je me souviens d’un soir où je revenais de traire nos chèvres à Viry c’était la nuit tombée, je me retrouve seule vers notre maison, une chouette, soudain, hulule, elle s’était perchée sur le mur nu de la grange et se découpait dans le ciel, au dessus de l’œil de bœuf ovale qui trouait le mur sur fond de ciel, prise de panique dans ce décor lugubre j’ai couru vers la ferme de mes cousins, qui logeaient nos vaches, où se trouvait le reste de ma famille pour les soins et la traite du soir.
Après les fortes chaleurs qui rendaient pénibles les travaux de déblaiement il est venu de fortes pluies, nous n’arrivions pas à battre la moisson, ce qui compliquait pour rassembler ceux qui nous prêtaient la main, en ce temps-là l’entraide était spontanée, une fois chez l’un, une fois chez l’autre on se rendait les journées sans bien mesurer le temps passé.
Nous tenions d’autant plus à notre grain et à notre paille que nous n’avions plus de foin, la sécheresse n’ayant pas permis de faire du regain. Je dis merci à ceux qui, malgré la médiocre récolte de foin, nous en ont donné un peu, que nous allions chercher avec une charrette récupérée, chez une vieille paysanne de Claveisolles. On nous avait donné aussi un tombereau.
L’hiver nous avons fait cuire des pleines chaudières de pommes de terre mélangées avec le son qui nous avait été attribué comme sinistrés, pour compléter le maigre fourrage. Ceux qui venaient habituellement se ravitailler en beurre, fromages et œufs en ont bien ressenti les effets, mais nous étions à l’époque de sérieuses restrictions.
Qu’on veuille bien m’excuser d’avoir devancé le déroulement de ce récit que je reprends lorsqu’il a fallu reconstruire.
Le premier travail a consisté à réparer les toits et à remettre des vitres aux fenêtres, mon oncle Antoine Trichard a je crois utilisé pas mal de mastic ; mais avant, il avait fallu se procurer des vitres, produit rarissime du fait des bombardements à Lyon et ailleurs.
De même pour les tuiles, je crois que notre maire et d’autres personnes sans doute, ont fait des prouesses pour se procurer ces éléments de première nécessité. Pour tout ce que ces gens anonymes ont fait, je dis merci, pour leurs initiatives et leurs peines.
A l’automne les maçons et les charpentiers reconstruisaient nos bâtiments d’exploitation, le M.R.U. (Ministère de la Reconstruction et de l’Urbanisme) était débordé de demandes de dommages de guerre.
Les maçons de monsieur Ravel de Lamure se sont mis à l’œuvre, toutefois nous devions nourrir les ouvriers à midi, c’est là que notre cochon rescapé a bien fait son office… ainsi que nos pommes de terre que nous récoltions, manuellement bien sûr, dans une terre éloignée de la Douzette, ne pouvant utiliser les légumes du jardin, les deux bombes incendiaires tombées dans le pré de François Martin en bas de chez nous, avaient répandu du phosphore sur une grande surface, de même que les bêtes ne devaient pas manger l’herbe et ceci pendant de longs mois.
La scierie Sambardier a fourni le bois, poutres, solives etc. que nous allions chercher avec nos vaches, avec un char d’emprunt et ceci très tôt le matin, avant l’arrivée des ouvriers, mais je ne sais plus qui aidait mon frère à charger. _ Je l’attendais au dessus du Pont Gaillard avec deux autres vaches liées, (qui nous avait donné les jougs ? Je ne sais, les nôtres ayant brûlés) ; nous mettions une chaîne entre les deux attelages pour faire renfort, il fallait bien les quatre vaches, par cette route montante, pour tirer, à pas lents, le lourd chargement et ceci de nombreuses fois ; mais il faut que je rende hommage à ma mère qui, pour nous laisser reposer un peu plus longtemps, se levait à 4h30 du matin pour nourrir un peu les vaches qui allaient avoir à un pénible effort à faire et elle les trayait également, pour qu’en rentrant, elles puissent repartir soit aux champs pour se nourrir, soit pour travailler encore. Il fallait faire les labours pour les semailles, rentrer le bois de chauffage pour l’hiver et transporter les tombereaux de pommes de terre que nous arrachions à la pioche et ramassions avec des paniers de fer.
Nous vivions dans une ambiance de travail, par pudeur nous parlions peu de nos malheurs, de notre peine, les pertes humaines irréparables nous imposaient un respectueux silence.
Quelques temps après le bombardement, Antoine Dumas le papa de Marie et Jeannette, neveu de l’abbé Dumas et beau-frère de Francine Dumontet, qui était maçon, est venu avec son ouvrier Pierre Chuzeville avec pelles, pioches et brouettes déblayer la maison des enfants Dumontet, en ce temps-là tout se faisait manuellement.
Ils apportaient leur repas et mangeaient sur place, ou chez nous, quand le temps n’était pas favorable, ce qui fait que notre table, à midi, était souvent bien garnie ; mais pour nous cela était très salutaire, chacun apportant un petit coin de ciel bleu, ou un rayon de soleil avec les nouvelles de la région, parfois tristes, mais aussi joyeuses, quand elles étaient rapportées de façon savoureuses et nous nous surprenions à rire…
L’être humain est ainsi fait qu’il trouve toujours assez de ressort pour rebondir, lorsque chacun y met du sien et dépasse sa détresse, pour sourire avec ceux qui sont joyeux.
Malgré la guerre qui continuait, nous savions que la Paix était proche, notre jeunesse regarde vers l’Avenir, tout en étant conscients de tout ce sang et ces larmes qui coulaient encore, en ces mois précédant le 8 mai 1945, jour de l’armistice.
Les pages se tournent, mais la pensée retourne parfois en arrière, c’est ce que je viens de faire.
Simone Dumontet née Descroix 1927-2012