Discours de M. BERTRAND à la cérémonie du 28 mars 2010 au monument du Crêt
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Il y a 66 ans, le 19 mars 1944, neuf résistants ont été assassinés ici ou au fort de la Duchère. Parmi eux, il y avait mon père et je me retrouve, 66 ans après, avec le même chagrin que la petite orpheline de deux ans que j’étais.
Ce que leur reprochaient ceux qui les ont exécutés sans jugement ? C’est de n’avoir pas accepté la barbarie nazie et d’avoir décidé de faire quelque chose ensemble pour la contrer.
Certains étaient engagés auparavant dans des groupes de guérilla urbaine, essentiellement dans des actions de sabotage de la logistique de l’ennemi, mais des arrestations sont intervenues et il a fallu prendre des mesures de sécurité.
Ces mesures de sécurité n’étaient pas superflues, le seul groupe Guy Moquet, essentiellement composé de jeunes de Décines et Vaulx-en-Velin, a connu l’exécution d’un de ses membres, Emile Bertrand, mon oncle, guillotiné à St-Paul, la condamnation de plusieurs autres aux travaux forcés et la déportation à Dachau de 8 résistants.
D’autres étaient requis pour le STO, mais n’ont pas voulu partir travailler pour les nazis. Ils ont fait d’une pierre deux coups, ils se sont planqués pour ne pas partir en Allemagne et ils ont agi. Et pour continuer l’action, ils ont pris le maquis.
Le camp ainsi constitué notamment par Roger Chavanet a pris le nom de « André Desthieux », un résistant qui a été fusillé le 27 mai 1943 à Dijon.
Ces résistants n’ont pas voulu faire du spectaculaire, des actions d’éclat, ils ont cherché l’efficacité : ils ont composé des petits groupes très mobiles, se déplaçant en permanence pour harceler l’occupant, saboter le matériel de guerre, déboulonner les voies ferrées en cherchant à faire le moins de victimes possible parmi la population comme parmi les résistants. Avant de faire dérailler un train, ils prévenaient le mécanicien. Ils ont cherché et trouvé le soutien de la population : le maire, le curé, des paysans, des gendarmes.....
Le terme de terroristes que leur attribuaient les autorités de Vichy et la presse aux ordres n’était vraiment pas approprié puisque c’était la terreur qu’ils combattaient.
Je voudrais rappeler pour les jeunes qui sont ici, que le maréchal Pétain, au nom de la France, avait signé un armistice, c’est-à-dire qu’il avait fait la paix avec l’Allemagne nazie, collaborant ainsi avec la monstrueuse entreprise d’asservissement et d’extermination.
Comme l’a déclaré Jacques Chirac, alors Président de la République le 16/07/1995, « ces heures noires souillent à jamais notre histoire et sont une injure à notre passé et à nos traditions. Oui, la folie criminelle de l’occupant a été, chacun le sait, secondée par des Français, secondée par l’État français. La France, patrie des Lumières, patrie des Droits de l’homme, terre d’accueil, terre d’asile, la France, ce jour-là, accomplissait l’irréparable ».
Le régime de Vichy, qui porte une accablante responsabilité dans les persécutions et déportations des Juifs et des Tziganes, a également traqué, arrêté, torturé, fusillé, guillotiné, déporté, exécuté nombre de ceux qui ont eu le sens de l’honneur et le courage de lutter contre cette barbarie et de résister à l’occupant.
C’est ce qui s’est passé ici même le 19 mars 1944. Ce jour-là, à 4 heures du matin, une trentaine de résistants réfugiés dans trois vieilles fermes abandonnées dans le vallon du « Magat » ont été encerclés par plusieurs centaines de policiers des groupes mobiles de réserve [1] (les GMR) assistés de gendarmes bloquant toutes les issues dans un rayon de cinq à six kilomètres.
Neuf résistants ont trouvé la mort à l’issue de cet encerclement : cinq résistants ont été tués le jour même sur place, quatre ont été blessés et capturés puis fusillés quelques jours plus tard au fort de la Duchère.
Ce massacre a été organisé par le Préfet de la Loire, André Boutemy qui a contrôlé et dirigé les opérations sur place.
Et il faut savoir que ce personnage, après avoir été conseiller financier du CNPF, s’est retrouvé ministre sous la 4e République puis sénateur de Seine-et-Marne.
Ce qui nous montre que les taches et les zones d’ombres n’épargnent pas, aujourd’hui encore, la République française.
Au regard de toutes les tragédies qui se sont succédé et se poursuivent dans le monde, oui le ventre est encore fécond d’où a surgi la bête immonde.
Il y a donc 66 ans que je participe, comme beaucoup d’entre nous, à cette cérémonie du souvenir.
Je revois nombre de celles et ceux qui sont venus ici jusqu’à leurs derniers jours et je voudrais leur rendre hommage : bien sûr, il y a ceux qui ont combattu ici et qui nous ont quittés, nous les avons dans nos mémoires.
Mais je pense aussi à la mère d’Edgar Bédikian. C’était son fils unique. Il était né à Istanbul après le génocide des arméniens et il est mort ici en combattant.
Je pense à ma grand-mère qui a connu la mort tragique de ses deux fils, l’emprisonnement de sa fille.
Je pense à toutes les épouses, à ma mère bien sûr, aux parents, aux frères et aux sœurs, aux enfants de ceux qui sont tombés car je sais d’expérience que la plaie ne se referme pas.
Je revois Monique Vincent, qui a apporté une aide précieuse au maquis, et son mari Nenesse, Georges Hoerdt, amputé des deux jambes.
Je revois l’abbé Poyet et sa bonté.
Je pense à toutes ces femmes, à ces hommes, à ces enfants souvent, qui, sans être dans des groupes organisés, ont grandement contribué à la résistance : en transportant des armes, des tracts, du ravitaillement, du linge sale ou de mille autres façons. N’est-ce pas, la famille Carton ?
Je pense aussi à « la population rurale des communes de Montchal et Panissières » qui « paraît avoir » dit un rapport de la gendarmerie au Préfet en avril 1944 que je cite« dans son ensemble désapprouvé les opérations d’épuration qui furent effectuées le 19 mars dernier contre un groupe de terroristes. On se refuse le plus souvent à assimiler ces réfractaires à des bandits et les paysans estiment que l’on eut dû déjà utiliser des procédés différents pour les appréhender. Certains habitants critiquent en outre vivement les conditions dans lesquelles se sont déroulées les obsèques. On prétend que le curé de Montchal dut donner une absoute en cachette et que les tombes des terroristes tués furent fleuries par la population de Montchal au cours de la nuit qui suivit l’inhumation ».
En dépit de la nostalgie et de la peine, le souvenir de toutes ces personnes honnêtes et justes nous apporte du réconfort et des raisons de confiance.
Nous en avons bien besoin.
[1] 150 GMR envoyés en cars dans la nuit plus des renforts demandés par le préfet à Vichy et arrivés à 9 heures.
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